Il s’est autorisé une plongée sans filet. Abrasive et percutante, frontale et alliant dans un même élan beats concassés, chant irrigué d’une sensibilité fauve et panache. D’oscillations troubles en pulsations profondes, Peter Peter sonde les forces de la nappe sonore, impose le pouvoir de la mélodie aux battements par minute sans totalement se détourner du format chanson. Et érige Ether, son cinquième album comme une expérience immersive à son maximum d’intensité. Est-ce le passage encore brûlant à l’âge de la quarantaine qui a ordonné ce lâcher-prise ? Ou son récent mouvement géographique à destination de la ville de Québec, après un long crochet de huit ans à Paris et une escapade retour de deux ans à Montréal ? C’est en évitant en tout cas scrupuleusement les affrontements que le garçon se construit là un monde inédit, presque uniforme dans la démarche, plein de sursauts vitalisants et riche en déluges rythmiques.

Au cours de l’exploitation – perturbée par la pandémie – de Super Comédie, son précédent disque synthético-vaporeux à l’esprit eighties, Peter Peter réfléchit déjà au prochain chapitre. Deux options se dessinent dans son esprit : s’inscrire dans la glorieuse lignée de la continuité en compagnie de sa guitare, son instrument de prédilection, ou s’en affranchir complètement pour la première fois et ouvrir grand les portes à une radicalité, à une certaine grandeur electro-dance qui l’a longtemps effrayé. Finalement, il tranche en faveur de la seconde option. Se dressent ainsi en ordre de bataille, synthétiseurs, piano, programmations et séquences. S’il avait déjà flirté avec cette incursion à la fois purement et fondamentalement électronique dans Bien réel, morceau d’ouverture pétaradant de son album Noir Eden paru en 2017, le Québécois n’avait pas prolongé l’idylle sur la longueur. Cette fois-ci, il s’est fixé des contraintes comme celle de ne recourir à aucun musicien, laissant seulement entrer en fin de parcours Guillaume Guilbault (Constance, Duu, KROY), co-réalisateur des morceaux. Un chemin de solitude, sinueux puisque courant de l’année 2022 il perd partiellement et de façon définitive l’ouïe à l’oreille gauche. Quatre mois de doutes, de questionnements et d’idées noires. Aucun écho lié à cet événement dans le disque si ce n’est indirectement Journée comme celle-ci, chanson de rémission, éclairée par un faisceau de lumière et qui a impulsé chez lui une reprise de confiance autant en la vie qu’en la musique.

A l’arrivée, on se rend compte que Peter Peter, sans se départir de son penchant obsessionnel pour la mélancolie et de sa vocation à réconforter les âmes esseulées ou écorchées, a su se réinventer un langage musical. Hormis peut-être 20 k d’heures de solitude qu’il qualifie de
« chanson la plus sécurisante » et dont on reconnaît la patte dans le son et dans le propos (« Je n’accuse non rien ni personne/Je ne sais pas moi-même où je vais/Toi connais-tu un endroit/ Où il fait bon d’errer ? »), ce casanier surfe fréquemment sur l’héritage d’une excitante scène techno anglaise qui porte les noms d’Underworld, Boards of Canada, The Chemical Brothers, Kelly Lee Owens, Daniel Avery… Aussi à l’aise pour s’emparer de l’extase commandée par le dance-floor que pour concevoir la bande-son parfaite d’afters, il laisse ici frétiller les rythmes et les idées. Symbole de cette liberté octroyée et de cet effacement, Soleil bascule de l’obscurité à l’incandescence avec le même éclat sensoriel. Vivace et à double détente, Ciel s’inscrit comme son petit frère. Plus raver que rêveur, Peter Peter réduit à l’os les textes d’Ether et Fcking poésie pour capturer l’euphorie et l’abandon mentaux. Il y a aussi Se contenter d’un mirage qui ordonne la transe, l’ambient de Lisbonne. Ou le touffu et intraitable Danses-tu dehors, ce soir quelque part, loin de son téléphone ? Il y a toujours et encore cette poésie en clair-obscur mais dopée à l’énergie club. Preuve indéniable que la danse et la tête peuvent jouissivement cohabiter ensemble.